Une théorie de la relativité

Il y a mille et une façon d'aborder la réalité.

La vision qu'on peut en avoir dépend de beaucoup de choses, de votre personnalité et vécu, de vos passions ... La définition la plus courante de la relativité touche les domaines des mathématiques, de la physique, de l'astronomie, etc. Elle propose de nous mettre en perspective en tant qu'êtres humains dans l'espace, dans le temps aussi. Mais je ne suis pas assez scientifique pour en parler en connaissance de cause, et si vous aimez avoir les pieds ancrés sur Terre, votre vision sera plutôt caractérisée par "ici, maintenant". D'autant plus, quand on vit dans une société focalisée sur le rapide, et l'immédiat. Tout le monde court, et le monde change vite, trop vite, il est très facile de se laisser dépasser.

Ca fait beaucoup pour l'immédiateté !

De fait, il n'est pas difficile de trouver des gens totalement noyés dans ce réel, et qui se laissent emporter par le courant violent. Qui ne voient pas leurs vies passer, et se focalisent sur la pression sociale, avec tout ce qui la définit, ce qui est implicitement obligatoire, autorisé ou interdit. Du coup, leurs vies me semblent comme "aspirées" par le temps qui s'écoule, et elles sont tellement "enracinées" dans le présent qu'elles en oublient qu'elles se situent à une époque donnée dans la trame du Temps. Le présent est si écrasant qu'il ne semble y avoir ni passé ni futur.

J'en viens au fait : généralement, on a tellement envie d'avoir une vision rationnelle et objective de la réalité que vous ne voyez plus que ça. Vous en oubliez qu'il y a eu, ou il y a encore, d'autres réalités culturelles, sociales ou autres. Et il me semble qu'on a peu d'occasions dans un contexte quotidien et répétitif d'en prendre conscience.

Couverture du catalogue de l'exposition

Pour ma part, le déclic s'est fait en allant voir l'exposition Futur Antérieur, qui circule depuis quelques années en France après avoir eu un franc succès dans sa région d'origine, la Lausanne. Le principe de cette exposition est simple, mais prend une tournure vertigineuse puisqu'elle met en abîme notre propre époque, ce qu'on appelle aujourd'hui la réalité avec tant de ferveur qu'on en serait presque persuadé qu'elle n'aura pas de fin.

Vous vous retrouvez ainsi projeté 2000 ans plus tard, dans la peau d'archéologues ou de visiteurs du futur, avec cette question essentielle : que restera-t-il dans deux millénaires ? Que sera devenue la réalité ? La vérité, c'est que l'homme du XXIe siècle pense avoir tellement construit, tellement imprimé ses marques partout qu'il a du mal à visualiser l'impact que le Temps aura probablement dessus.

Mais, ne vous inquiétez pas, l'archéologie (et l'archéologue du futur?) est là pour vous éclaircir : pour avoir une vision du futur, il suffit de ne garder de notre monde actuel que la céramique, le verre, et éventuellement le métal. Oui oui, vous avez bien lu : il ne restera pas grand-chose de notre "belle et grande" société industrielle. Exit les tas de paperasses et leurs encres éphémères, les plastiques de mauvaise qualité et le béton gris (en moyenne, sans entretien, un bâtiment en béton ne survit "que" deux ou trois siècles). Autant dire qu'il va y avoir du tri à faire.

Le Nain de jardin kitsch aime ça.

Et donc, notre société étant un véritable mystère pour nos lointains descendants, ils tentent tant bien que mal, quelquefois avec beaucoup de créativité, de reconstituer le quotidien d'humains lambdas du XXIe siècle. C'est très drôle, d'un point de vue introspectif, de voir les archéologues (bien de notre époque, cette fois-ci !) prendre du recul sur leurs méthodes actuelles, faisant table rase de leur propre quotidien pour se mettre dans la peau d'un chercheur du XLIe siècle. Cela donne parfois des indications très justes, d'autres fois des affirmations un brin hasardeuses, mais surtout bourrées d'humour et peut-être d'ironie, au sujet des objets présentés, vieillis de 2000 ans tout spécialement pour l'occasion.

Au moment où j'ai visité cette exposition, je travaillais dans un musée d'archéologie. Et au-delà du fait que j'aie beaucoup aimé cette exposition, autant pour sa pédagogie que pour son originalité, j'ai pris une claque immense dans la figure ! Pour la première fois, j'ai compris tout d'abord que notre civilisation actuelle pourrait devenir à son tour un sujet d'études et de discussion, lorsque plus personne ne serait là pour témoigner explicitement, oralement ou sur des supports tels que livres, informatique. Je me suis dis qu'un jour, ça serait nous, à travers nos objets, qui serions exposés dans un musée d'archéologie !

Reconstitution d'un rite de fertilité du XXIe siècle.

Et surtout : il ne restera RIEN ! Cette civilisation et sa société, qui nous semble bourrée de contraintes et de polices, de pressions sociales et j'en passe : QUE DALLE ! Pas un seul objet pour témoigner ne serait-ce que de l'ombre d'un soupçon de notre vécu au sens humain, relationnel et sociologique ! J'ai mis cette impression de vertige en parallèle à ces objets du musée archéologique que je voyais donc régulièrement, surtout pendant ces longues heures pendant lesquelles il arrivait que le musée soit réellement vide...

Qu'y avait-il donc, 2000 ans en arrière ? Nous étions au début de la période romaine, en pleine transition entre la civilisation de la Tène et la civilisation romaine, autant dire que ça devait être un bouleversement important dans tous les domaines, y compris... sociale. Et maintenant, qu'est-ce qu'il reste ? Bin de la céramique, du verre, un peu de métal...

Allez savoir l'histoire de ces objets...

J'ai imaginé des humains comme nous, des gens se laissant dicter leur conduite et destinée par une société entière, ayant d'autres contraintes et d'autres modes de vie. Ou d'autres, mis à l'écart par leurs choix de vie, ou qui n'en avaient rien à faire des lois les plus basiques. Et que reste-t-il de ces gens, qu'ils aient été des "citoyens" bien obéissants, ou des pirates ? Rien ...

La conclusion que j'en ai retirée est sans appel : leurs décisions n'ont rien changé, ils sont redevenus aussi anonymes que lorsqu'ils sont nés. Et au-delà de la belle illustration de l'expression "Carpe diem" que cela représente (je la connaissais déjà bien avant d'aller à l'exposition) ; c'est toute une théorie de la relativité, ou plutôt de la relativisation qui m'a sauté aux yeux. Et là, il y a comme un poids qui s'est envolé de mes épaules : le jugement des autres, ce que l'on attendait de moi en contradiction avec mes vraies envies, tout ça m'a semblé d'un dérisoire ! En plus de l'idée qui va de paire avec, selon laquelle on se prend vraiment la tête avec pas grand-chose, en comparaison de ce que l'on peut faire de sa vie ...

Bref, depuis que j'ai pris ce recul, j'ai l'impression d'être perchée au-dessus d'un torrent, à voir de l'extérieur les gens courir, et leurs vies défiler sans qu'ils ne "sortent la tête de l'eau" ... C'est assez effrayant, mais certains semblent avoir peur de regarder ce qu'il y a à la surface de cette eau, pris dans cette masse que j'ai déjà appelé dans un autre article "les gens" ... De là est née mon idée d'article, si jamais il permettait ne serait-ce qu'à une personne de réaliser tout ça, ça serait déjà ça de pris !

Observez. Réfléchissez. Relativisez. ;)