Maintenant que vous savez ce qu'est le paganisme, via mon précédent article qui en proposait une définition ( Le melting-pot païen ), je vais pouvoir creuser un peu la problématique qu'il représente d'un point de vue social. Comme déjà précisé, le paganisme ne prétend pas reconstituer de manière intacte et parfaite une ancienne religion (ou alors vous êtes naïfs ou ignares), ce n'est pas de la reconstitution historique et vous le vivez comme vous le sentez.

Mais, au sein de ce paganisme, force est de constater que le néo-païen de base a ses chouchous : comme le paganisme n'est en rien une institution, vous avez l'embarras du choix, et avez la liberté de choisir les religions et les dieux qui vous plaisent, et vous parlent le plus.

Là-dessus je pense qu'on est à peu près tous d'accord, question religion, la Wicca, la religion néo-celte, la religion néo-nordisante (voire asatru ou vanatru) ont la cote. Suivi de très loin par la religion néo-hellénisante, la religion néo-celtogermaniste et la religion néo-khévétiste (qui reprennent le panthéon de l'Egypte ancienne). Mais comme je ne connais pas ces deux dernières, je m'abstiendrai d'en parler, ceci dit, si vous souhaitez m'apporter votre contribution dans les commentaires, elle sera la bienvenue ! :)

Et le tout est teinté vaguement de néo-chamanisme (les néo-païens bavent sur, pardon, adorent énormément le chamanisme).

ATTENTION !

Je ne parle pas des adeptes du new-age, cette "philosophie" est pour moi extrêmement brumeuse et abstraite, je n'arrive pas à la saisir en tant que mouvement cohérent et "utile", c'est un énorme point d'interrogation... En fait je pense que je serais assez insultante si j'essayais de la définir, pour l'instant je vois ça comme le luxe des ménagères de cinquante ans en pleine crise de mysticisme... c'est vous dire si j'y comprends rien, mais j'espère qu'un jour quelqu'un m'expliquera ce schmilblick ^^' ...

Il doit falloir être un hippie pour comprendre ce que c'est....

Bref. Dans la même idée, il serait assez aisé je pense d'établir un "top 3" des divinités les plus populaires chez les néo-païens d'Occident, du moins en France et en Belgique (ce n'est pas une blague). Chacun étant fortement apprécié dans "sa" religion respective, à moins qu'il ne s'agisse de petits malins qui ne fassent leur propre soupe avec les Dieux qui les "arrangent", et/ou avec lesquels ils ont envie de bosser (quand le néo-païen ne se place pas dans une relation de dominant/dominé avec sa divinité de prédilection, ce qui me semble davantage caractéristique de la religion chrétienne).

Mais ces derniers ne sont pas à blâmer, après tout on a trouvé des moules pour fondre des pendentifs de l'époque viking où se côtoyaient Mjöllnir et croix chrétienne ! Des pierres taillées de l'Île de Man où sont présents les deux symboles peuvent aussi en témoigner... Cela dans le contexte d'une mentalité où seule l'efficacité du "partenariat" humain/dieu compte.

Le fameux moule avec les deux symboles retrouvé à Rømersdal

De base, se partageant de manière serrée les deux premières places, viennent de très loin Thor et Cernunnos. Respectivement, le Dieu de l'Orage et le Protecteur des Gens, de tout ce qui est ordonné et contre le Chaos aveugle ; et le Dieu du monde sauvage, Maître des animaux (sauvages), de la Chasse et plus ou moins Gardien du passage vers l'Autre Monde. Ensuite, nous avons Odin, Dieu Chaman, de la Fureur (énergie, puissance au sens large), du Commerce (cargaison, marchandise), des Voyages, de l'Eloquence (voir ses épithètes dans l'Edda en prose de Snorri Sturluson).

Première constatation, je ne suis vraiment pas sûre que l'ensemble de leurs rôles soient connus de leurs sympathisants, Thor étant vu comme "LE" Dieu des vikings, et protecteur de ces derniers ; et Cernunnos étant considéré comme le Dieu farouche des bêtes sauvages vachement mystérieux, masculin et très fertile ; quant à Odin, à part le côté chamanisme, berserkr/ulfhednir, sagesse des runes et grande classe avec ses deux corbeaux, on n'aime pas trop entendre parler de son aspect marchand et "mercurien". Et il me semble qu'on parle peu de son côté voyageur et éloquent. Alors que pourtant, il n'y a rien de plus histo... J'exagère à peine.

Ensuite, on doit avoir la fameuse Déesse-Mère, qui attire beaucoup de sympathies féminines et en particulier tout ce qui fleure "bon" le féminisme. Déesse-Mère et tous ses dérivés de divinités de la Fertilité aussi bien féminines que masculines (Freya/Freyr, un des aspects de Cernunnos, Brigid, Isis, etc), d'ailleurs, ce qui clôt notre top 5. Là-dessus donc, pas trop d'ambiguïtés, cette Déesse a un champ d'action tellement large qu'en général elle met tout le monde d'accord par son côté fourre-tout, puisque tous ceux qui l'apprécient y trouvent leur compte.

Mais par pitié remballez-moi ces danses lascives autour du WickerChose que je ne saurais voir,

on n'a jamais dit que la sexualisation du rituel était obligatoire !!!

Enfin, et c'est là où ça devient intéressant, viennent d'autres chouchous difficilement quantifiables dans leur nombre de sympathisants, mais dont le nom revient assez régulièrement en contexte néo-païen pour que l'on puisse penser qu'ils bénéficient d'une certaine popularité.

Parmi eux, je pourrais citer pêle-mêle (même si j'en oublie sûrement) :

- Morrigane (Déesse irlandaise de la Guerre et des Catastrophes, de la Sexualité, de la Mort au Combat dans le "Livre des Invasions"),

- Freya de nouveau (parce qu'aussi Déesse de la Mort au Combat),

- Bran (personnage lié au corbeau, ce n'est même pas vraiment un Dieu dans le Mabinogion, mais bon le corbeau c'est classe),

- Loki (Dieu du Chaos, "aberration" qui empêche les choses de tourner en rond et d'être ordonnées et harmonieuses, qui n'est du côté de personne (!)),

- Taranis (Dieu de l'Orage fondamental),

- Dionysos (Dieu des vendanges, de l'alcool et de l'ivresse mystique),

- Hécate (Déesse des Cauchemars et des Ténèbres),

- Pan (l'un des dieux sauvages grecs, considéré dans l'antiquité comme étant effrayant)

- Rhiannon/Epona (Déesse de l'équitation et des chevaux, même si Rhiannon est davantage une princesse dans l'un des Mabinogion).

Certains d'entre eux ont même des chansons qui leur sont dédiées, comme Morrigane, Bran et Taranis (par Omnia), Hécate (par Daemonia Nymphe), Rhiannon et Cernunnos (par Faun), Pan (par Daemonia Nymphe et Faun). Mais il faut noter que ma liste est incomplète, ces groupes étant toujours actifs et mes connaissances étant limitées.

Morrigane par Ortie de Malice, qui me semble bien représenter son côté sauvage :)

Au total, si on résume les rôles et les domaines attribués aux divinités préférées de nos contemporains néo-païens, force est de constater que des divinités mineures ont repris le devant de la scène, et sont devenues pour certaines aussi importantes que des divinités majeures et populaires. Au point que certaines divinités majeures, très populaires autrefois, sont reléguées loin, très loin à l'arrière-plan...

Pire encore ! Des divinités qui n'auraient absolument aucune place dans des cultes populaires dans leur culture d'origine, parce qu'apportant le chaos, le désordre et la malchance, se retrouvent prisées par des néo-païens !

Ainsi, exit les divinités représentant la Lumière, l'Artisanat et le Commerce, la Prospérité ! Pourtant, j'ai déjà vu en contexte néo-païen des roues solaires portées, mais il semblerait que du côté du culte, l'on préfère les divinités lunaires, sombres, cachées, bref, occultes. Ce qui est quelque part très paradoxal. Et, puisque comme je l'ai dit le paganisme de manière globale est dénué d'institution, on ne peut pas dire que c'est par contrainte et/ou obligation que les néo-païens choisissent ces divinités : ils les choisissent donc en toute liberté.

Lug, même s'il a donné son nom à la fête de Lugnasad, n'a pas la cote.

= pas assez sauvage ou exotique ?!

...

ET VIREZ-MOI CE KILT PAS HISTO !!!

Alors on est bien d'accord, les néo-païens ne doivent pas prétendre faire de la reconstitution historique irréprochable, et ne font en théorie pas ça pour l'intérêt scientifique. Mais, comme je l'avais défini dans mon précédent article, les néo-païens sont tous plus ou moins en quête d'identité, et de valeurs auxquelles se rattacher. Ce qui leur semble plus leur correspondre que les reliquats de catholicisme, ou du moins de chrétienté, que nous voyons autour de nous.

Ils grattent donc le vernis chrétien apposé sur les anciennes croyances, du moins c'est la version officielle. Mais, s'ils veulent se rattacher aux anciennes religions et civilisations, pourquoi ne pas reprendre les divinités majeures les plus usitées d'alors ?

Seule exception à la règle, la triade traditionnelle supposée être indo-européenne (merci Dumézil) : la souveraineté défensive et autoritaire (avec l'orage, la guerre, la paternité), la fertilité et la production, et le rapport avec le sacré, qui comme nous l'avons vu, trouve toujours autant de public qu'autrefois. Même si pour les nordisants, ce n'est pas tout à fait pareil avec la triade d'Uppsala, qui est un brin plus complexe que ça. Peut-être parce qu'avec elle, les néo-païens qui l'ont choisie y trouvent toujours leur compte.

La triade d'Uppsala, avec Odin, Thor et Freyr, du moins on le suppose.

Cependant, les anciennes civilisations n'avaient-elles pas besoin du soutien des Dieux de l'Agriculture, du Commerce et de l'Artisanat, de la Prospérité, de la Lumière Solaire, des Sciences et de la Technologie pour se développer ?

Bien qu'elles aient du se préoccuper du devenir de leurs morts et donc de la divinité qui en était chargée, on conçoit aisément qu'elles aient préféré en leur temps les divinités positives qui les aidaient dans leur quotidien, et dans leur évolution culturelle, sociale et personnelle. Parce que ces divinités leur étaient utiles, voire carrément vitales, tout simplement.

Je crois en fait tenir là une véritable problématique dans le paganisme d'aujourd'hui. Parce qu'en dépit de vouloir renouer avec leurs racines, par l'absence d'attrait ressentie vis-à-vis de ces divinités civilisatrices, les néo-païens expriment un véritable malaise envers elles.

A l'inverse, ça me laisse à penser que lorsque les néo-païens choisissent leurs divinités tutélaires, à savoir celles avec lesquelles ils sont sensés vouloir travailler, ce n'est pas nécessairement par besoin quelconque comme autrefois, mais par préférence, par attirance envers l'image que ces divinités leur inspire. C'est que pour eux, ces divinités ont un charme qui leur plaît.

Alors oui, c'est joli sur le papier (ou l'écran), mais vénérer la Déesse des Cauchemars,

quelque part je trouve qu'il y a quelque chose qui cloche, c'est contre-nature...

Mais il y a (encore) un problème qui m'amène à une constatation : c'est que, comme je l'ai évoqué plus haut, cette image qui les attire tant est souvent déformée, puisque via nos exemples précités, on peut se rendre compte que certains païens contemporains rejettent, entre autres, les aspects d'ordre et de commerce dans les divinités qu'ils disent aimer, lorsqu'elles portent aussi ces aspects d'un point de vue historique. Le rejet de ces concepts est corroboré par le manque de popularité des dieux lumineux, et ayant un rapport de près ou de loin avec l'Artisanat, les Technologies, de l'Agriculture et de la Prospérité...

Et si l'on écoute leurs préférences mythologiques, sans tentative de diabolisation ou de jugement, c'est comme si en contrepartie, il leur manquait une part de noirceur, de mystère et de sauvagerie (sous forme animale ou non), de folie voire de chaos.

Lorsqu'on se penche sur les origines géographiques des anciennes religions les plus prisées, on comprend aussi qu'en plus de ces religions, c'est aussi la culture qui va avec qui attire les néo-païens. Aujourd'hui, les néo-païens français et belges préféreront largement les polythéismes celtes et scandinaves, plutôt que le polythéisme grec.

Et aucune trace du polythéisme romain (peut-être plus présent en Italie ?). Pourtant, on ne peut pas dire que la France et la Belgique aient plus d'origines et d'influences culturelles scandinaves que romaines. Pour moi, c'est explicite : l'héritage romain est littéralement rejeté, et on est quelque part dans un rejet du "Sud", auquel on oppose le "Nord". D'ailleurs, je me demande si l'adoption du christianisme par l'Empire romain au IVe siècle n'y est pas pour quelque chose dans ce rejet de la civilisation romaine, ce qui "pénalise" également son ancien polythéisme...

Diane aussi aurait eu sa place dans le paganisme d'aujourd'hui, mais a priori... non.

Artémis, en revanche, aurait quelques "admirateurs". Comme quoi.

Voilà une constatation qui peut sembler bien surprenante en regard de la conclusion de mon dernier article sur ce sujet, où je vous parlais des valeurs de "bon vivant" généralement recherchées par les néo-païens. Remarquez, ce n'est pas toujours incompatible avec certains cultes.

Mais on peut tout de même se poser la question de pourquoi tant de noirceur, de désordre dans ces choix de divinités ? Si l'on regarde mon précédent article, je vous disais qu'on devient souvent néo-païen en réaction d'opposition à une société de plus en plus uniformisée, mondialisée.

Mon hypothèse personnelle, c'est que pour les néo-païens, les concepts rattachés à la société d'aujourd'hui sont presque les mêmes que ceux rattachés aux divinités qu'ils ne portent pas dans leurs coeurs (sans pour autant les détester, la seule absence d'attirance parle d'elle-même) : la Lumière et le Soleil dans sa dimension écrasante, dominatrice et agressive (peut-être que ça leur fait penser au monothéisme chrétien ?) ; le Commerce ; les Sciences et Technologies ; l'Agriculture et la Prospérité (qui leur évoque l'agriculture dite conventionnelle, source de pollution? et l'abondance des supermarchés ?).

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'effectivement la nature sauvage morfle de "l'abondance",

abondance + nature = incompatible ?

De la même façon, quand je parlais du "retour à la Nature" via sa célébration, il n'y a rien d'étonnant à voir Cernunnos arriver en top des divinités préférées des néo-païens, et son côté "passeur de l'Autre Monde" un peu mis de côté, puisque ce qui les intéresse, c'est la Nature brute et intacte, sauvage et indomptable, idée que l'on retrouve plus ou moins dans d'autres divinités appréciées telles qu'Odin, la Déesse-Mère, Morrigane, Dionysos, Hécate, Loki...

On répond en fait de manière très manichéenne à l'agression ressentie au contact du monde actuel. A l'agression ressentie quand il cherche à nous imposer "sa" vision du Bien, on rétorque "notre" vision du Bien, avec des concepts totalement à l'opposé, pour tenter de rééquilibrer notre balance psychique qui n'en peut plus du pseudo-Bien civilisateur qui dégueule de partout.

Et cela, finalement, c'est très chrétien comme façon de penser, j'irai même jusqu'à admettre que c'est un point commun que je n'avais jusque là pas détecté, avec le satanisme. Attention, je n'ai pas dit que vous étiez sataniste ! Cela prouve pour moi, que les choix des divinités par les néo-païens sont donc loin d'être faits au hasard, et dénotent avant tout le besoin psychologique de contrebalancer et de gérer le malaise qu'ils ressentent vis-à-vis de la société d'aujourd'hui, en tentant de combattre intérieurement l'emprise de cette dernière via le néo-paganisme.

Cernunnos tel que beaucoup de néo-païens le conçoivent,

nouveau libérateur spirituel des "peuples" ?

(Illustration par Fabiola Vargas)

Finalement, ce n'est pas tant les anciennes religions que l'on reprend en tant que telles, mais surtout les idées et concepts dont nous avons besoin. Même si cette conception du paganisme me semble un brin erronée, puisque j'imagine que les divinités qui ont été les moins vénérées (aux époques anciennes) sont de manière logique les moins "documentées" et donc les moins "reconstituables". Comme ailleurs, nous avons le réflexe de projeter avant tout nos attentes sur le support, même si pour cela le support nous semble devoir subir quelques modifications.

Je laisse à l'appréciation personnelle de chacun de décider à partir de mon constat si cela est acceptable ou non, crédible ou non dans la démarche, car je sais que c'est largement sujet à polémique.

Ceci dit, cet imaginaire provoqué par la vision actuelle de ces divinités me semble être à l'origine de divers écueils, que nous pouvons surtout retrouver dans l'iconographie et les arts néo-païens. Mais cela est le sujet de mon prochain article, qui s'intitule : De la mode underground du néo-paganisme (3/3) ;) ...

Le paganisme, côté obscur de la Force ? (2/3)