Si vous fréquentez les réseaux sociaux et les forums (bref, toute plate-forme d'échange sur Internet), vous aurez sûrement rencontré au détour d'une discussion, des créatures fort surprenantes : surgissant de nulle part, elles mordent à votre dernier message puis, comme un chien décidé à vous voler un bout de bidoche, ne le lâchent plus jusqu'à ce que vous abandonniez la-dite bidoche, ou que vous ayiez demandé grâce en vous prosternant si bas que votre ventre pourrait toucher la terre.

Vous les aurez reconnues, puisque ces créatures sont hélas légion : je veux parler des "trolls". Non pas les Trolls du folklore scandinave, qui me semblent tellement inoffensifs à côté de ceux auxquels je pense, que je trouve presque insultant pour eux qu'on les compare à de tels individus...

Rien à voir avec ce troll-là.

Donc, les trolls au sens "numérique".

Il est étonnant de constater à quel point leur groupe social peut être aisément ciblé : souvent des jeunes hommes, qui fréquentent de plus ou moins près la sphère geek et ses dérivés (jeux de rôle, jeux vidéos, ...), quelquefois étudiants, souvent alignés à gauche, pseudo-intellos, laïcs voire athées, et que les sciences dures fascinent, et qui en commun d'adorer faire ce que l'on nomme vulgairement, des "concours de b*tes".

Ils sont reconnaissables à leur sport favori, le "trollage" (qui se rapproche beaucoup du fameux "clash", à la mode dans l'univers people et autre twitter), qui consiste à prendre n'importe quel prétexte pour agresser gratuitement un interlocuteur, et lui montrer à quel point il a tort en pinaillant sur des éléments ridicules (ici sur un mot mal choisi, là sur un argument qui sort un peu trop de sa vision étroite du monde). Et cela a malheureusement tendance à s'étendre à des sujets de conversation anodins, et à des domaines où la polémique n'a a priori aucune raison d'être.

Le culte du troll, c'est aussi cette gueule insupportable qu'on a tous envie de baffer.

Le troll est d'ailleurs si virulent que pour s'en débarrasser, il ne sert à rien de chercher à discuter, et à moins que vous ne souhaitiez perdre de l'énergie et du temps inutilement à vous engager dans une dispute stérile, une seule solution s'impose : le bloquer, et l'éviter "irl" pour ne plus jamais avoir affaire à lui.

Alors, quel intérêt à en parler ?

C'est bien simple : qu'est-ce qui pousse un individu, a priori doué d'intelligence, à devenir un fanatique du chipotage, adepte de la secte de ceux qui veulent toujours avoir raison ?

Vous connaissez le scénario autant que moi : lorsqu'il intervient dans un but belliqueux, le troll invoque toujours (directement ou non) la Raison, le Rationalisme, le Matérialisme, la Science... On y est : la Raison (et les autres noms qu'elle peut porter). Elle est le dieu unique des trolls, qui la placent au-dessus de tout, y compris de la liberté d'expression, d'opinion, du respect du à chacun.

A l'intérieur, il se prend pour ça. Oui, rien que ça.

En son nom, le troll se fait le Héraut du Matérialisme, et déclare quiconque irait à son encontre, comme étant un être méprisable et inférieur ; mais attention, pas totalement irrécupérable, ça non ! Car vous avez eu la chance de tomber sur le Chevalier Raisonnable qui va vous guérir de votre hérésie, en vous convertissant au vrai et seul dieu ... Puis il vous fait l'honneur d'être son faire-valoir, pour en jeter (croit-il) plein la vue du public hors d'haleine et admiratif, pour démontrer à tous à quel point il est beau, sage, réfléchi et... Raisonnable !

...

Premier constat : on est à fond dans la métaphore du pigeon qui, pour gagner une partie d'échecs, monte sur le plateau de jeu, renverse tout, chie dessus et roucoule parce qu'il est persuadé d'avoir gagné.

Ha ça tu peux roucouler, mais il n'y a aucune gloire à en tirer.

En effet, le troll est égocentrique. A l'excès. Et il y est encouragé par ses congénères.

C'est précisément ce que j'appelle le "Mythe de l'Homme Raisonnable", puisque nous sommes dans le culte malsain de celui qui apparaîtra à tous comme le Messie de la Raison, celui qui a le dernier mot quoiqu'il arrive. Quitte à blesser des gens voire des proches au passage. Mais le troll n'en a cure, il est content d'avoir sorti sa bêtise, il s'applaudit lui-même, salue ses compatriotes trolls au passage, et rideau.

Autre symptôme de ce comportement, un "humour" pourri, qui pousse parfois jusqu'à la méchanceté ou à la cruauté : que ceux qui n'ont jamais vu quelqu'un commenter la vidéo ou photo d'un chat sans pouvoir s'empêcher de faire allusion à "bouffer" ou à tuer la pauvre bête, lèvent la main... Et pour peu que vous râliez contre ce propos déplacé, le troll s'empresse d'ajouter "Ho c'est bonnnn ça vaaaaa, je rigole, si on peut plus déconner !!", auquel cas vous vous en tirez bien. Dans le pire des cas, vous aurez infailliblement droit à LA phrase magique que tous les trolls sortent, puisque bien entendu ils comprennent mieux que quiconque TOUTES les formes d'humour (y compris lorsque la méchanceté porte le déguisement humoristique) : "On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde". Ce qui est d'un mépris incroyable (n'en déplaise à ce pauvre Desproges).

Le pire ennemi du troll, qui réussit à l'effrayer... envers lui-même.

Oh bien sûr, cette mentalité n'est pas nouvelle, et d'aucuns diront que mes exemples ne sont pas si graves, ce qui est vrai. Pourtant, cette mentalité cache un vrai danger, puisqu'en plus d'être banalisée, elle joue sur les égos de jeunes coqs pour se répandre comme une traînée de poudre, véhiculant avec elle une idéologie douteuse appuyée sur le Rationalisme forcené. Car derrière la façade humoristique, le troll exclue dans les faits toute forme de pensée basée sur l'émotionnel, parce que ce dernier le dérange, et qu'il doit à tout prix garder le contrôle et son sérieux sur lesquels il a créé son personnage de vrai mâle rationnel. Ce mythe sur pattes qu'il souhaite à tout prix incarner, et pour lequel il éprouve toujours le besoin de se justifier, ce, pour prouver aux autres qu'il l'incarne bien.

Ainsi, exit les sentiments et les émotions, le troll est là pour les moquer ; exit l'empathie, le troll vous culpabilise et vous fait la morale ; exit la religion, le troll vous nomme obscurantiste ; exit la spiritualité, le troll vous rudoit en vous traitant de cinglé(e) ; exit le sacré ou le respect des choses, le troll les désacralise pour que l'on tolère sa souillure "c'est bon, c'est qu'un [objet]"... Par conséquence logique, la notion "d'humanité" en tant que valeur morale en prend un sacré coup, parce que si l'on reprend tout ce que le troll rejette comme aspects humains, on obtient en "négatif" (au sens photographique) un idéal d'homme insensible, moralisateur, misanthrope, cruel, aigri, introverti, et surtout triste comme les pierres, puisque n'ayant aucune notion de "Beau", quelle que soit sa forme. En somme, un robot.

L'idéal de l'homme et de la société selon les trolls.

Voilà ce à quoi se condamne une partie de la jeunesse.

Tant d'efforts et de pseudo "self control", juste pour ça.

J'aimerais dire aux trolls : les mecs, vous sacrifiez une part énorme de votre énergie pour suivre un idéal masculin déshumanisé, tout en étant persuadés que vous passez pour des intellectuels raisonnables et terre-à-terre, là où en fait, vous passez pour de sombres connards. Et le pire, c'est que je suis sûre que certains d'entre vous ne comprennent pas pourquoi des ami(e)s finissent par vous virer de leur vie.

Selon moi, être un Homme, un vrai, ce n'est pas renier son ressenti comme une pucelle effarouchée, mais accepter ses émotions et y faire face en les assumant. Ce n'est pas être le bras qui frappe systématiquement, mais être là pour prêter son épaule à qui souhaite y pleurer. C'est être un soutien fiable et sincère, à l'écoute de ses proches et ami(e)s, et accepter les différences pour mieux vivre en harmonie avec elles. C'est ne pas résumer les humains à de la bidoche vivante, c'est respecter ce qui est vivant, et ce qui est sacré pour autrui sans jugement de valeur.

Et surtout, un vrai Homme ne devient pas obtus parce qu'il veut à tout prix avoir raison, il reconnaît qu'il ne sait pas tout, se donne droit à l'erreur. Et quoiqu'il arrive, même s'il n'est pas d'accord, il respecte la parole de ses proches.

Et pour ça il faut avoir DES COUILLES, DES VRAIES. A bon entendeur.

( ...D'ailleurs, combien vous pariez qu'il y a des trolls qui se sentiront concernés, et qui ne pourront pas s'empêcher de poster un commentaire ci-dessous ? Les paris sont ouverts !! x)

Le Mythe de l'Homme Raisonnable